Visite de Nikko au Japon par deux jeunes bloggeurs

Coline et Sylvain, deux jeunes lyonnais, sont au Japon depuis septembre 2017. Tous deux diplômés de masters LCE japonais, ils sont à Tokyo dans le cadre des recherches de doctorat et ont créé un blog afin de partager leur quotidien, leurs découvertes et leur passion pour la culture, l’histoire, et les paysages du Japon. Visite à Nikko.

Nous sommes début novembre. Un dimanche matin ensoleillé s’offre à nous ; le temps rêvé pour une petite virée en dehors de Tokyo. C’est l’occasion de nous rendre dans la préfecture de Tochigi, à Nikkô, petite ville d’un peu moins de 100 000 habitants, à 140km au nord de la capitale. Nous changerons 3 fois de train pour parvenir à Nikkô, et c’est lors du changement dans le second que nous commencerons, petit à petit, à sortir de la mégalopole et de ses habitations à perte de vue.

Tôshô-gû, la sépulture d’un mégalomane de l’époque Edo

Si nous avons choisi d’effectuer notre visite de la semaine dans cette petite ville, c’est parce que Nikkô est considéré comme l’un des lieux les plus éminents du Japon, d’un point de vue artistique et historique.  Classé depuis 1999 au patrimoine mondial de l’UNESCO, il rassemble un grand nombre de chefs d’œuvre architecturaux de la fin de l’époque médiévale, dont le sanctuaire de Tôshô-gû. Celui-ci se situe à l’intérieur d’un immense parc naturel composé de plus de 16 000 cèdres, et a été construit en l’honneur de Tokugawa Ieyasu, l’un des plus illustres shoguns, dont la dynastie régna sur le Japon féodal pendant plus de 200 ans. L’histoire du Japon de 1185 à 1868 est une succession de dynasties de shoguns prenant le pouvoir sur un empereur fantoche ; mais la plus durable de celles-ci est celle des Tokugawa. Cette stabilité est sans doute liée aux diverses initiatives de Tokugawa Ieyasu pour appuyer son pouvoir : entre autres, l’éloignement de la capitale impériale, Kyoto, au profit d’Edo, et l’auto-proclamation de son statut divin. La famille impériale étant jusqu’alors la seule descendance divine du pays, Ieyasu a en effet espéré s’élever au-dessus de celle-ci par cette décision. L’histoire veut cependant que le peuple n’adhéra que très partiellement à cette idée, laissant la divinisation de la lignée Tokugawa à l’état de doux rêve de son premier shogun.

Les toits du Tôchô-gû depuis la forêt de cèdres

En nous rapprochant de l’enceinte du sanctuaire, la foule se fait de plus en plus dense. Il faut dire que nous sommes un dimanche, et qu’en ce début du mois de novembre, les premiers érables, les kôyô2, commencent à prendre leurs couleurs d’automne si belles et agréables à contempler.

L’époque Edo se caractérise, au niveau architectural, par l’émergence d’un style ornemental, symbole du faste d’une classe guerrière de plus en plus riche et puissante, venu cohabiter avec un style classique hérité des périodes précédentes. Cette mixité se reflète parfaitement sur l’ensemble des édifices qui composent le Tôshô-gû : les structures en bois suivent le style et le schéma de construction ordinaire des monuments japonais de l’époque, tandis que le tout est agrémenté de gravures, de laque dorée ou de haut-reliefs d’animaux. Cette prolifération de fioritures, d’apparats, et de détails, un peu baroque, presque rococo, reflète bien la personnalité de Tokugawa Ieyasu. Ce dernier s’étant auto-proclamé dieu en devenir, et se considérant comme un légitime descendant des divinités créatrices japonaises, il a tout logiquement souhaité, au moment de sa mort, qu’un édifice à la hauteur de son statut lui soit construit. Et on retrouve bien la mégalomanie du personnage dans certains bâtiments du sanctuaires, notamment lorsque l’on se rapproche de la porte Yômeimon, où le souci du détail a été poussé à son paroxysme : les gravures et les courbes s’enchevêtrent les unes sur les autres ; chaque espace vide est comblé par une sculpture de personnage, d’animal réel ou mythique, le tout recouvert de feuille d’or, ce qui donne à la porte un aspect somptueux et puissant, voire intimidant, qui ne nous laisse pas indifférents au moment de passer dessous. Derrière celle-ci, nous nous retrouvons dans une plus petite cour, mais sans pour autant être moins nombreux ! Ne pas se perdre et réussir à avancer devient donc notre première priorité le temps de comprendre la configuration des lieux et le chemin à suivre pour poursuivre la visite. En scrutant autour de nous, nous apercevons un regroupement de personnes devant une porte donnant sur un escalier qui s’engouffre entre les cèdres à travers la montagne.

La porte d’accès au mausolée du 3ème shogun de la lignée Tokugawa Tokugawa Iemitsu2

Les animaux divins

Tout au long de la visite du Tôshô-gû, nous avons pu observer bon nombre de représentations animalières similaires à celle du chat dormant : des singes, des éléphants, des dragons, etc. On les appelle les shinjû (神獣 ; litt. animaux divins) ou les shinshi (神使 ; litt. Messagers divins). Ils représentent des divinités aillant pris des formes d’animaux pour pouvoir apparaître devant les humains, juste avant qu’une bonne chose promise ne se réalise. La forme la plus commune de shinshi est le komainu (espèce de lion-chien) que l’ont voit souvent dans les jinja.

Au Tôshô-gû, ces animaux sont particulièrement nombreux, et contribuent d’ailleurs à la renommée du lieu. Il est pensé que la plupart symbolisent la paix. Plus de 29 sortes en sont recensées, et parmi les plus notoires, on retrouve notamment :

Le dragon, ou ryû (龍) :
Depuis des temps anciens, il représente le bon présage de gokokuhôjô (五穀豊穣), une exceptionnelle récolte, et on dit qu’il protège les choses sacrées. Ainsi, on ne le trouve pas seulement au Tôshô-gu mais un peu partout dans les sanctuaires et les temples. L’exemple le plus représentatif est celui du ou des dragon(s) que l’on trouve sur les « temizuya » (une petite fontaine à l’entrée des sanctuaires, où on se purifie en arrivant).

Jeux de lumière lors de l’animation illumination nocturne au Tayû in

L’éléphant imaginaire, sôzônozô (想像の象) :
L’éléphant occupant une place prédominante dans le bouddhisme indien, on pense qu’il aurait été connu par le biais des textes bouddhiques, mais le premier éléphant venu au Japon ne serait pas arrivé avant 1728 (d’après les archives nationales). Ainsi, la légende veut que l’artiste du Tôshô-gû ait conçu l’image des éléphants sans jamais en avoir vu de réels. Certains éléments de la représentation, par exemple la base des oreilles, sont d’ailleurs un peu étonnants.

Le chat endormi ou nemurineko (眠り猫) :
Représentatif du Tôshô-gû. La légende raconte qu’il reste endormi ici pour protéger Ieyasu, mais reste prêt à sauter à n’importe quel moment. Une autre lecture de sa symbolique est liée à la présence de l’autre côté de la porte de trois moineaux qui jouent, ce qui laisserait penser que le message est « c’est une paix tellement grande que même le chat dort ».

Les singes ou saru (猿) :
Dans les écrits sacrés, on dit que le singe est l’animal qui protège le cheval ; il est donc représenté sur les écuries du Tôshô-gû. On retrouve huit parties, correspondant à huit éléments de la vie d’un singe, qui sont associées aux bonnes méthodes à suivre pour vivre sa vie en paix. Les célèbres 3 « singes de la sagesse » qui ont les mains sur les yeux, la bouche et les oreilles, sont l’un de ces huit tableaux, et signifient qu’il vaut mieux ne pas voir, entendre ou dire de mauvaises choses lorsqu’on est enfant.

La porte d’accès au mausolée du 3ème shogun de la lignée Tokugawa Tokugawa Iemitsu

Derrière cette fameuse porte, donc, gardée par une divinité dormante, se continue notre aventure. Nous grimpons un escalier de plus de 200 marches qui nous mènera au mausolée d’Ieyasu, à travers la gigantesque forêt de cèdres. L’urne censée renfermer les restes du seigneur s’avère être d’une simplicité exagérée en comparaison du faste vu quelques minutes plus tôt, mais donne au lieu une atmosphère de calme et de sérénité.

Ainsi s’achève notre visite du sanctuaire ! Nous utiliserons le même chemin pour redescendre au niveau de la place et de la pagode.

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Nikko

 

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