Les pépites du Mois Molière 2021

Chaque année au mois de juin, le Mois Molière donne à Versailles un petit air de festival d’Avignon avant l’heure. L’occasion pour les gourmands de théâtre de faire le plein de spectacles et de découvrir notamment les créations des troupes accueillies en résidence permanente dans la ville. Retour sur les meilleurs moments de ce mois tourbillonnant.

 

La Folle de Chaillot de Jean Giraudoux, mise en scène de Jean-Hervé Appéré, Comédiens & Compagnie, création 2021

Attablés à la terrasse d’un café de Paris, place de l’Alma, trois hommes d’affaires sans scrupules envisagent de faire main basse sur le pétrole qui dort supposément dans les sous-sols. C’est compter sans Aurélie (interprétée formidablement par Valérie Français), surnommée la Folle de Chaillot. Avec l’aide d’Irma la plongeuse (Mélanie Le Duc), de Pierre (Stéphan Debruyne), du chiffonnier (André Fauquenoy) et de quelques autres figures du peuple parisien, cette comtesse sans le sou va entreprendre de purger le monde des escrocs et des profiteurs. « Les hommes sont tout simplement en train de se changer en animaux avides », se désole Aurélie auprès de son amie Constance, qui trimballe partout son chien imaginaire. « Ce qu’on fait avec du pétrole. De la misère. De la guerre. De la laideur. Un monde misérable », déplore Pierre. Plus de 75 ans après sa création, cette comédie aux accents loufoques teintée de poésie et de nostalgie n’a rien perdu de son potentiel subversif. Elle conserve aussi toute sa noirceur : perchés sur une scène plongeante, les personnages semblent comme au bord du gouffre. Servi par huit comédiens formidables et dynamisé par une mise en scène qui flirte avec la comédie musicale et la commedia dell arte, ce spectacle nous tend un miroir sans fard de notre monde actuel.
Calendrier de la tournée.

La Folle de Chaillot, mise en scène de Jean-Hervé Appéré © Crédit photo Georges Guillon

 

Lawrence, texte d’Éric Bouvron et Benjamin Penamaria, mise en scène d’Éric Bouvron

Des tapis orientaux pour tout décor, une carte géographique qui vient rappeler les enjeux stratégiques de l’époque. Nous sommes en 1916, l’Arabie est sous le joug de l’Empire ottoman, allié de l’Allemagne. Soucieux de conserver leurs accès aux Indes, les Britanniques engagent Thomas Edward Lawrence, un jeune homme de 28 ans qui va gagner la confiance des Arabes et les pousser à se révolter contre l’occupant turc. Moteur de cette insurrection : la promesse par les Britanniques de la création d’une grande nation arabe. Le spectacle retrace l’épopée qui forgea la légende de Lawrence d’Arabie, figure popularisée au cinéma par le comédien Peter O’Toole. Tout en fluidité, la mise en scène opère par tableaux, scandés par deux musiciens (Julien Gonzales, Raphaël Maillet) et une chanteuse (Cecilia Meltzer). Les huit comédiens endossent avec brio une cinquantaine de rôles, nous transportant en un clin d’œil de Londres au Caire, en passant par Aqaba et Damas, jusqu’à Paris, avec la trahison de la promesse faite aux Arabes. Les deux auteurs ont fait le choix de gommer la part d’ombre de Lawrence. Exit, les doutes qui subsistent sur sa prétendue ignorance concernant les accords secrets entre Britanniques et Français pour se partager l’Empire ottoman déchu. Avec beaucoup de crédibilité, Kevin Garnichat interprète donc un Lawrence d’Arabie lumineux tout acquis à la cause arabe, dont l’amour pour le Proche-Orient s’incarne dans son amitié avec son facétieux serviteur Dahoom, joué par Slimane Kacioui. Lawrence est un spectacle au souffle épique servi par une mise en scène efficace et une distribution impeccable.

Lawrence, mise en scène d’Éric Bouvron © Crédit photo Georges Guillon


La Vie parisienne de Jacques Offenbach, mise en scène de Nicolas Rigas, Théâtre du Petit Monde

Dans un hall de gare, Raoul de Gardefeu et Bobinet attendent chacun de leur côté leur maîtresse, Métella, qui arrive finalement au bras de son nouvel amant. Les deux hommes se réconcilient et décident d’aller vers « les femmes du monde ». C’est ainsi que débute ce monument de l’opéra bouffe, créé en 1866. Accompagnés de quatre musiciens, les dix comédiens, qui réussissent le tour de force d’endosser une vingtaine de rôles, nous en livrent une version époustouflante. Seule infidélité au livret d’origine : le baron et la baronne de Gondremarck sont devenus un prince saoudien et son épouse. Pendant deux heures qui passent en un clin d’œil, le spectateur suit donc les aventures galantes d’un Raoul de Gardefeu (interprété par le metteur en scène et baryton Nicolas Rigas) qui fait les yeux doux à une jolie Saoudienne (Antonine Bacquet), de son ami Bobinet (Martin Loizillon) et de l’émir (Christophe Crapez) avide de découvrir les plaisirs coupables de la capitale. Au rythme des chansons entraînantes qui ont fait le succès de cet opéra (« Je suis Brésilien, j’ai de l’or »), on s’immerge avec délice dans ces folles nuits parisiennes. La mise en scène virevoltante et le rythme trépidant hissent ce spectacle au rang des meilleures comédies musicales. On rit et on est conquis par le talent de la troupe du Théâtre du Petit Monde.
Bande-annonce.

La Vie parisienne, mise en scène de Nicolas Rigas © Crédit photo Philippe Branet


Les Travailleurs de la mer d’après le roman de Victor Hugo, mise en scène de Clémentine Niewdanski, compagnie Livsnerven


Cette œuvre écrite pendant l’exil de Victor Hugo à Guernesey raconte l’histoire de Gilliatt, un pêcheur solitaire et mal-aimé qui est épris en secret de Déruchette. Lorsque le bateau à vapeur de l’oncle de Déruchette s’échoue, Gilliat décide de braver l’océan : il s’en va récupérer la machine de l’épave contre la promesse d’épouser Déruchette à son retour. Seul en scène et fort d’une présence très convaincante, Elya Birman nous livre un texte dépouillé de ses digressions. Avec pour seul décor un bateau fait de bric et de broc, le comédien fait vibrer la puissance lyrique du verbe hugolien et nous transporte au cœur des embruns. Le spectateur est emporté aux côtés de Gilliatt dans sa lutte héroïque contre les éléments et dans son combat contre la terrible pieuvre. Porté par une volonté farouche, l’homme viendra à bout de sa mission, mais la récompense tant espérée ne sera pas au rendez-vous. « La vertu n’amène pas le bonheur, le crime n’amène pas le malheur ; la conscience a une logique, le sort en a une autre », écrit Hugo. Et c’est effectivement à un dénouement poignant qu’Elya Birman nous convie, qui submerge aussi le spectateur.
L’actualité de la compagnie.

Les Travailleurs de la mer, mise en scène de Clémentine Niewdanski © Crédit photo Georges Guillon


S.D.
Crédit photo du visuel d’ouverture : © Georges Guillon

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