Guerlain, Patou : le redéploiement d’un certain luxe français autour des sens

Guerlain, Patou : deux noms qui font rêver les femmes des quatre coins de la planète car ils sont synonymes d’un certain art de vivre à la française. Maisons de luxe par excellence, elles fascinent aussi car, contrairement à certaines autres marques haut de gamme et branchées, Guerlain et Patou sont des patrimoines vivants, des maisons qui symbolisent un riche passé artisanal. Racines familiales, lourd patrimoine artistique : dans un monde où tout va très vite et où les « leçons du passé sont parfois oubliées », Patou et Guerlain osent affirmer la pérennité de ces postulats et poursuivre l’histoire de leurs produits tout en les tournant vers le futur.

 

 

D’un côté, Guerlain s’agrandit et se magnifie en son adresse mythique du 68 Champs Elysées ; de l’autre Patou renaît de ses cendres où l’avait laissé le groupe Procter & Gamble lors du précédent rachat.

 

 

Guerlain : une vision globale du monde de la beauté

 

Un des symboles de Guerlain : l'astre

Un des symboles de Guerlain : l’astre

 

Emblématique de Guerlain, le 68 Champs-Elysées est « l’adresse » de la maison puisque les Guerlain y avaient leur hôtel particulier en 1914. Mais entre l’institut au 1 er étage, la boutique historique transformée il y a cinq ans par Andrée Putman et Maxime d’Angeac ; la place manquait pour mettre en valeur les différentes lignes de maquillage, de produits cosmétiques et bien sûr les parfums. Par achats successifs l’ensemble a pu s’agrandir et l’univers Guerlain s’expose maintenant et après deux années de travaux sur plus de 1 000 mètres carrés et sur quatre niveaux.

 

Marbres blancs veinés de gris pour mettre en valeur les parfums

Marbres blancs veinés de gris pour mettre en valeur les parfums

 

Respect total pour certains éléments emblématiques de décoration tels que les 17 marbres et le mobilier de la boutique initiale, mais aussi choix de matériaux nouveaux et de pièces inédites de décoration : boiseries, marbres de Carrare, marqueterie de paille, lustres de Baccarat, abeilles stylisées en inox gonflé doré. Rien n’est trop beau pour accueillir les pièces de musée anciennes comme la crème Secret de Bonne Femme ou le flacon aux canards (seuls 3 exemplaires existent), les parfums incontournables tels que Mitsouko ou Shalimar ou les dernières nouveautés si successful comme La Petite Robe Noire.

 

 

Sous la houlette de Peter Marino, le lieu a été réaménagé avec beaucoup de raffinement sans pour autant tomber dans l’extravagance d’un luxe tapageur. Et Laurent Boillot, pdg de la société, peut se vanter sans excès d’avoir « fait la plus belle boutique de parfums Guerlain ». Le lieu est selon lui scandé comme un opéra, un mixte de Garnier et de Bastille et chaque espace met en valeur soit les parfums rares, soit les jus classiques installés en orgue sculptural, soit les flacons abeilles personnalisables par fils de soie, étiquettes et nœuds, soit les produits de soins, soit les gammes de maquillage.

 

Shalimar, une des plus belles réussites Guerlain

Shalimar, une des plus belles réussites Guerlain

 

Comme le but de ce nouveau Guerlain est une mise en beauté globale et un bien-être général ; il était nécessaire que tous les sens soient aiguisés et celui du goût présent aussi. Le 68 est ainsi un restaurant avec l’arrivée de Guy Martin au « 68 by Guy Martin ». Carte blanche a été laissé au chef doublement étoilé du Grand Véfour pour « imaginer une cuisine décomplexée à destination d’une Parisienne qui bouge ». Guy Martin et la direction de Guerlain partagent les mêmes points communs de valeurs patrimoniales, de volonté de modernité et de souci d’apporter du bonheur à la clientèle. Le chef a donc concocté des plats qui sont autant de clins d’œil aux fragrances. Les épices, le chocolat et la vanille vont cotôyer les matières premières de la parfumerie comme la fève tonka, la rose, l’ylang-ylang. On pourra même acheter des gâteaux individuels à la boutique des Délices.

 

 

 

Patou : la renaissance d’une parfumerie de luxe

 

 

Patou, c’était avant tout un homme né en 1887 et qui fut un grand visionnaire en matière de mode et de parfums et pour qui est « perfums addict » une maison de haute parfumerie laquelle proposait des jus autres que ceux de la parfumerie traditionnelle. Patou parle principalement avec Joy, la fragrance qui a fait le tour de la planète par son slogan « le parfum le plus cher au monde » conquérant ainsi les femmes à la recherche du ‘non déjà vu’. Mais Patou c’est aussi l’Huile de Chaldée, la première huile de bronzage sortie dans les années 20, les mythiques fragrances Mille et Sublime. 

 

 

Malgré les créations de mode avant-gardistes, les parfums « segmentants » créés ; la marque s’essouffle, tombe dans l’oubli avant d’être rachetée en 2001 dans un panier commun de marques par Procter & Gamble. Le grand lessivier qui sait mieux travailler le mass market que le haut de gamme s’en désintéresse et se concentre sur une des marques-licences de la corbeille de la mariée, Lacoste.

 

 

Il faut attendre 2011 pour que Designer Parfums, déjà propriétaire de JL Scherrer et Ghost Parfums ainsi que de Worth, rachète la marque dans sa globalité.

 

La belle endormie va enfin se réveiller sous la houlette de son vice-président, Bruno G. Cottard et du nez Thomas Fontaine (promotion Jean Patou de l’Isipca en 1982). Ils entendent dynamiser les trois piliers fondamentaux, les jus Joy créé en 1929, Mille sorti en 1972 et Sublime en 1992. De plus va ressortir une collection Héritage avec les plus belles créations de la maison.

Collection Héritage

Collection Héritage

 

 

Patou version 2013 entend retrouver ses racines artisanales de haute parfumerie, revivre sa vocation de parfumeur du sélectif qui ne sera présent que sur 1 000 lieux spécifiquement sélectionnés parmi les 2 500 parfumeries existantes en France. Les fragrances très précieuses et rares dans la sélectivité de leurs matières premières et leur concentration en fleurs ont leur clientèle qu’il ne faut pas décevoir car leur attente d’un parfum non porté par tout le monde est bien présente. A ces femmes connaisseuses, exigeantes, la possibilité de retrouver un jus non commun, une odeur qui peut s’enorgueillir d’utiliser du jasmin et des iris au prix exorbitant de 70 000 et 120 000 € le kg. Tout comme certaines femmes aiment la « guerlinade », d’autres ne peuvent se passer de la « patounade » ou « mélodie de Patou » faite de roses et de jasmin dans des proportions inouïes comme celles créées par le parfumeur Henri Alméras pour Joy. Ce jus fut paradoxalement un symbole de grand luxe encore accessible aux Américaines qui ne pouvaient plus s’offrir la mode de Patou après le krach boursier de 1929.

Le masculin Patou pour Homme

Le masculin Patou pour Homme

 

 

Pour célébrer cette renaissance de la maison, appel est fait à Thomas Fontaine, parfumeur et actuel gardien olfactif du temple Patou, pour élaborer un nouveau Joy. Du fait de la législation qui interdit l’utilisation de certaines matières premières et de la disparition de certaines autres ; il fallait faire évoluer la fragrance sans la trahir. Une certaine fraîcheur est ajoutée avec de la fleur d’oranger, de la mandarine ; l’inspiration de base Art Déco de Joy est suggérée par le bois de palissandre alors que des notes en fond d’ambre et de muscs blancs apportent de la chaleur.

 

Le renouveau de Patou est amorcé. Avec La Collection Héritage un premier opus de la bibliothèque olfactive du parfumeur s’ouvre sur Chaldée, Eau de Patou et Patou pour Homme. Dans les années à venir d’autres pages devraient être tournées permettant ainsi de revivre des évènements majeurs de l’Histoire. En effet, Patou était un des rares parfumeurs à concevoir une odeur en liaison ou en réponse à un fait bien précis : Normandie pour la traversée inaugurale du paquebot en 1935, Vacances pour les premiers congés payés en 36, Colony pour l’Exposition Coloniale de la France d’Outremer, L’Heure Attendue pour la fin de la guerre, Câline pour les années yéyé…..

 

Le nouveau - né Joy Forever créé par Thomas Fontaine

Le nouveau – né Joy Forever créé par Thomas Fontaine

 

Tout comme certains font revivre un château ou une abbaye ; qu’il est heureux de voir que d’autres ont le souci de perpétuer des produits mythiques et de ressortir des parfums tombés dans les oubliettes. Guerlain et Patou protègent un des aspects de la richesse patrimoniale de la France, les odeurs et l’olfactif des grands nez français. On ne peut que les féliciter et les remercier de cette sauvegarde associée à de belles renaissances.

 

 

 

 

 

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