Une « chambre en Inde » avec vue sur le monde

Avec sa nouvelle création collective, la troupe du Théâtre du Soleil, autour d’Ariane Mnouchkine, livre un spectacle magistral, drôle et d’une grande beauté, sur le rôle du théâtre face au chaos du monde.

Mise en abyme de la création théâtrale

La pièce a vu le jour à Pondichéry, dans le Sud de l’Inde, où le Théâtre du Soleil était venu en janvier 2016 s’initier au Theru koothu, une forme de théâtre populaire. Le personnage principal, Cornélia (formidable Hélène Cinque), est l’assistante d’un directeur de théâtre, Constantin Lear (clin d’œil à l’ami Shakespeare), que la police a retrouvé nu, perché sur la statue du Mahatma Gandhi. Promue par la force des choses à la tête de la troupe, Cornélia, une couette sur la tête et en chemise de nuit tout du long, est en proie à la panique : la voici en charge d’inventer un spectacle, elle qui n’a, selon son amie Cassandre, aucune « vision ». Comment trouver l’inspiration ?

Cornélia dans ses rêves

Dans un magnifique décor de chambre indienne, dotée de persiennes à travers lesquelles on devine la rumeur de la rue, Cornélia va passer une nuit agitée, visitée justement par des visions, tantôt cauchemardesques, tantôt inspirantes. La nuit sera agitée et très « habitée » puisqu’une trentaine de comédiens se relaie sur scène. Une lumière particulièrement soignée ainsi qu’une musique jouée en direct contribuent à la magie de cette « chambre en Inde ».

Le théâtre face au chaos du monde

Les intégristes tournés en dérision

Plusieurs tableaux évoquent la difficile condition des femmes en Inde, que ce soit les obstacles à la scolarisation des fillettes ou les mariages forcés. Que peut le théâtre face au chaos du monde ? « Se moquer des méchants », comme le dit l’un des personnages. On rit en effet beaucoup au cours de la représentation. Il y a les fondamentalistes musulmans, qui négocient tels des marchands de tapis le nombre de vierges qu’ils auront une fois au paradis ; les Saoudiens, qui ont bien du mal à assimiler le concept des droits de l’homme.

Mais le spectateur est également confronté à des scènes terribles, telle cette préparation d’enfants kamikazes ; poignantes aussi, comme les répétitions de Richard III dans un tunnel à Alep sous les bombes. Désarmé mais pas impuissant, le théâtre endosse alors sa mission de témoin.

Un voyage à travers les théâtres

« Une chambre en Inde » voyage à travers les diverses formes théâtrales qui sont chères à Ariane Mnouchkine et qui vont nourrir Cornélia. Dans son sommeil, la jeune femme est visitée par des figures tutélaires : Shakespeare, mais aussi Tchékhov et ses « trois sœurs », dont l’apparition constitue l’une des plus belles scènes du spectacle. Le Nô japonais est également convoqué.

Une scène du Mahabharata

Mais c’est surtout le Theru koothu qui est à l’honneur, un art total qui mêle danse, chant et jeu théâtral, avec des costumes et des masques traditionnels luxuriants, d’un grand raffinement. Les parties chantées par les comédiens sont impressionnantes, tant leur maîtrise est grande. Et on est ému de voir la cosmopolite troupe du Soleil reprendre en chœur en tamoul des scènes du Mahabharata, épopée de la mythologie hindoue.

Une scénographie très soignée

Une aventure collective irriguée de multiples inspirations, c’est peut-être ce que peut le mieux le théâtre face au chaos du monde.

S.D.
Photos : © Michèle Laurent

« Une chambre en Inde », mise en scène Ariane Mnouchkine, musique Jean-Jacques Lemêtre
Théâtre du Soleil, Bois de Vincennes, La Cartoucherie, 75012 Paris
Pour réserver : 01 43 74 24 08
Jusqu’au 2 juillet 2017
Durée : 4h avec entracte

À noter que le Théâtre du Soleil se met tout entier à l’heure indienne puisqu’il accueillera du 21 avril au 4 juin le Théâtre Indianostrum, qui avait hébergé les premières répétitions d’Une chambre en Inde, en janvier 2016. Le Théâtre Indianostrum présentera trois spectacles.

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