La Fourchette des Ducs

A Obernai, cet établissement des « Viktor and Rolf » de la restauration mérite bien ses titres de noblesse et ses deux étoiles. Voyage dans une cuisine qui atteint la perfection.

 

Obernai en Alsace : une brasserie pour certains …. mais surtout un village « carte postale », le type même du stéréotype pour alimenter nos fantasmes touristiques les plus rudimentaires. Maisons à pans de bois et crépis de couleurs variées aux balcons chargés de jardinières remplis de géraniums l’été et de décorations festives autour de Noël, ruelles étroites pavées et toitures de tuiles avec quelques nichoirs à cigognes sur fond de chapelles anciennes en grès rose et jaune et de vignobles accrochées aux coteaux !

 

 

A 20 minutes environ de Strasbourg, la ville est donc une destination très prisée des touristes et nombreux sont les établissements de qualité (hôtels ou restaurants) dans ce lieu. Mais un établissement plus qu’un autre émerge parmi toutes les adresses locales, le restaurant deux fois étoilé au Michelin de Serge Schaal et de Nicolas Stamm.

 

Copropriétaires depuis 2000, les deux compères se partagent la direction du restaurant et des cuisines dans un décor où le raffinement des décors et l’excellence de la cuisine atteignent des sommets. Très bourgeoise par son grand escalier intérieur en bois cette demeure alsacienne est une bâtisse historique des années 20, un lieu voulu par Ettore Bugatti pour recevoir. Pour l’hiver, une salle dédiée à Charles Spindler avec de belles boiseries, des cristaux Lalique, un poêle en faïence, une cheminée et le portrait de la sainte locale, Ste Odile ; côté terrasse, un salon d’été avec appliques Baccarat et tentures chatoyantes aménagées de manière plus contemporaine par quelques touches de Starck et de Lévy. Deux hommes, deux atmosphères pour un seul et même art du bien recevoir et bien cuisiner. Assurément, Serge Schaal et Nicolas Stamm ont des titres de noblesse bien mérités.

 

Mais venons-en aux choses sérieuses : quid dans l’assiette proposée par cette table reconnue internationalement par son appartenance à l’association des « grandes tables du monde » ? Stamm est tout d’abord un chef comme on les aime : talentueux (très jeune étoilé à 28 ans), inventif et à contre-sens des modes quand il se concentre à l’époque du moléculaire sur une béarnaise, présent en permanence dans ses cuisines pour un petit nombre d’élus (env. 25) et donc aux antipodes de ces chefs qui ne sont plus à leurs fourneaux mais se partagent entre Courchevel, l’île Maurice et leur restaurant initial.

 

En quelques mots, voici, un soir de janvier, mon menu qui a alterné entre effluves de foie gras et de truffe : pour éveiller les papilles, un contraste gras / frais avec du foie gras et un pressé de lentilles vertes du Puy relevées par une sauce au raifort. La première entrée était un cannelloni de homard et sa sauce homardine au gingembre. De vrais morceaux de crustacé dans une pâte si légère qu’on aurait pu croire à une pâte de filo non frite. La même finesse dans la pâte se retrouvait dans la tarte feuilletée aux oignons recouverte de lamelles de truffe en rosace. Retour à la richesse de la saveur du foie gras dans la sauce Albufera qui agrémentait un suprême de volaille si tendre qu’il se coupait à la fourchette. Reprise du parfum précieux et terreux de la tuber melanosporum (truffe) dans un brie de Meaux servi avec une émulsion de pomme de terre. Et pour finir tout en fraicheur, une ode au citron mentonnais en tartelette, gelée, écorce confite et sorbet.

Aux tables voisines, les convives semblaient se régaler de plats que j’appris être des spécialités du chef, de grands classiques de sa carte : la boîte de caviar Petrossian, de l’Alverta Imperial, avec un tartare de langoustines et une crème de fenouil citronnée ; des noix de St Jacques poêlées, compote d’artichauts, émulsion d’agrumes et rosace de truffe ; pigeonneau alsacien, foie gras de canard et grue de cacao vietnamien.

 

Il existe parfois des silences éloquents ! Quand, à table, les langues se taisent à la dégustation des premières bouchées, un respect quasi religieux semble alors planer. Et je peux dire que ce soir là entre des conversations animées il y eut des « blancs » élogieux. Chapeau l’artiste donc !

 

Certes, les prix sont là (150 € pour le menu décrit) ; mais comme dans tout établissement qui affiche de brillantes distinctions : un « 2 étoiles » Michelin, les « 3 toques » Gault & Millau, le 19 / 20 du guide Champérard.

 

Pour accompagner un tel repas, le livre de cave met en valeur toutes les régions de France et propose de très belles et vertigineuses bouteilles. Néanmoins, région alsacienne oblige, privilégiez les vins d’Alsace avec un Riesling Grand Cru Altenberg de Bergbieten ‘cuvée Henriette’ 2009 Frédéric Mochel à 72 € la bouteille ; un Pinot Noir ‘Barriques’ 2009 Domaine Pfister à 69 € ou un Gewurztraminer vendanges tardives ‘Christine’ 2011 Domaines Schlumberger à 65 € la bouteille.

 

La Fourchette des Ducs

Place Anne Sophie Pic

6 rue de la gare

67210 Obernai

Tél : 03 88 48 33 38

Attention : le restaurant n’est ouvert que pour le dîner, du mardi au samedi, plus le dimanche au déjeuner

 

Visuels de J. Lehmann et d’O. Buhagiar extraits du livre « Nicolas Stamm, un chef en Alsace »